• +216 52 231 166
  • Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

TAGS

  • Ceux qui s’intéressent à la psychanalyse savent sans doute que pas mal d’auteurs ont tenté d’user de la psychanalyse afin de lire ou relire les textes dit sacrés…Freud dans son « Moise et le monothéisme » est certainement le plus connu, mais  d’autres ont suivi tels que Dolto avec  « les évangiles au risque de la psychanalyse » et « la foi au risque de la psychanalyse », Drewermann dans pas mal de ses ouvrages, essentiellement : « Les fonctionnaires de Dieu », Sibony, notamment dans : « Les trois monothéismes », Vasse, essentiellement dans « Le temps du désir » et Lévinas dans son incontournable « L'au-delà du verset.Lectures et discours talmudiques»…Ce ne sont là que quelques exemples de livres, et la bibliographie où se rejoignent psychanalyse et religion est très riche.

    freud ghm

     

    Fethi Ben Slama a défriché, quant à lui, le terrain de la psychanalyse et l’islam, notamment dans son ouvrage : « La psychanalyse  à l’épreuve de L’islam».

    benslama ghm

    Dans cet article, Loin de nous l’ambition de présenter la relation entre psychanalyse et religion, islam en particulier…Nous tenterons juste, pour être en relation avec  l’actualité,  de prendre à témoin la psychanalyse avec certains de  ses concepts et ce, afin de lire la position « psychique » de l’islamisme radical et celle opposée de l’islam spirituel…

    Toute religion, quelle qu’elle soit, est une tentative de répondre à des questionnements existentiels tels la position de l’être humain dans ce monde et la finalité de son existence.

    3 questionnements (conscients ou inconscients) jalonnent la vie de l’Homme :

     

    1- Personne ne peut donner à l’Homme un sens à son existence qui ne soit l’empreinte d’un autre.  C’est la mère qui positionne l’enfant dans ce monde, mais ce positionnement est inéluctablement lié aux angoisses de la mère et ses désirs. Le stade du miroir tel qu’analysé par Jacques Lacan l’exprime profondément. Le désir de l’enfant est perverti à jamais par le désir de la mère.

    2- Etant donné l’essence de la parole , aucun signifiant ne peut donner accès à la réalité. L’Homme est balloté de mot en mot, sans aucun lien à la réalité, sauf  par la supposition hypothétique. Le symbolique est intrinsèquement séparé de la réalité.Et le mot créateur de la chose est à jamais perdu. Le langage devient le seul point où s’origine l’Homme.

    3- Tout étant est le meurtre d’un autre possible ; aussi la vie est-elle une série de deuils où à chaque choix, l’Homme perd d’autres choix possibles. Les deuils se manifestent au départ par la marque du genre : masculin ou féminin, et point les deux ; et se poursuivent de diverses manières. Même dans la chaîne syntagmatique le choix d’un mot élimine, inéluctablement, les autres.

     

    Face à ces manifestations d’insécurité, face à ce « manque à être » (pour utiliser un terme psychanalytique) inhérent à la condition humaine, face à ces « maux » existentiels, il y a deux réponses possibles ; l’une est celle de la religion dans son interprétation radicale et orthodoxe, l’autre est celle de la foi dans sa portée spirituelle…Selon l’une ou l’autre, on tentera d’user de l’approche psychanalytique.

    • Les pulsions de l’Homme étant incohérents (dans un visée rationnelle), il est presque évident qu’ils soient les premiers à subir les foudres du religieux dans son acception courante. Le sexuel est dévalorisé et considéré comme souillure ou attribut animal, l’émotionnel est déprécié, l’art et l’esthétique sont bannis ou du moins réprimés et censurés…Les actions libres des humains se muent en recettes indiscutables que tout le monde est censé suivre ; notre conception du « fiqh » n’est-elle pas basée sur une taxinomie de ce qu’il faut faire ou ne pas faire  même concernant la plus banale des actions? Ainsi, on se pose des questions concernant ce qu’on doit dire avant d’entrer au souk, à la mosquée, au bain-maure ou au cimetière.

    La réponse de la Foi à l’incohérence est toute autre. La foi (tout comme la psychanalyse) réhabilite le pulsionnel et l’émotionnel. N’oublions pas que la psychanalyse est basée sur le concept de l’inconscient. Il y a une part de l’Homme qui lui échappe nécessairement, et tenter de contrôler ses actions ou celles des autres n’est qu’un grand leurre. L’incertitude fait partie de la vie, et un certain lâcher-prise de confiance en Dieu est nécessaire. L’acceptation de la foi est opposée au déni de la religion dans son approche radicale. L’homme est multiple dans son essence même : « Je jure par l’âme qui a été crée, elle a été inspirée  tant par la débauche que par la crainte de Dieu» (Sourate le soleil, versets 7 et 8)

    En lieu et place d’une morale de devoir s’installe, alors,  l’éthique du désir…car comme le dit Albert Plé : « L’authentique vie morale ne peut être qu’endogène », et non point extérieure à l’Homme. Le prophète aurait lui même dit : « Prends ton cœur en guise de juge ».

    • A l’absence originelle d’une réponse définitive sur la vérité du sujet, les religieux tentent de dénier la structure de l’absence. Dieu est absent, présent par son absence ? qu’importe, l’homme religieux va le représenter en s’arrogeant tous ses apanages, en désignant les bons croyants, les mauvais et les mécréants. Tous les questionnements concernant la vie ici-bas ou la vie à l’au-delà trouveront réponse détaillée et définitive chez le « faqih ». Aucune place au vide ni au questionnement. Le sens est définitif, et le trou est obstrué.

    La foi, s’adossant sur la psychanalyse, ne cherche point à combler le manque à être humain. Elle l’accepte comme étant marque de l’humain ;  Le renoncement à être Tout pour accepter d’être un parmi les autres et essentiel en psychanalyse et trouve écho dans la foi. L’une des conditions de la croyance musulmane  n’est-il pas  celui de craindre Dieu l’Absent? L’autre condition n’est-elle pas de croire que le Seul Dieu connaît l’interprétation du Coran, et que toutes les interprétations humaines ne sont qu’une lecture relative échouant nécessairement à représenter le premier mot divin : celui par qui la vie a commencé. La présence de Dieu sur le mode de l’absence est inéluctable, et cette absence ne peut être comblée par tous les « représentants » de Dieu sur terre, car elle est essence de la divinité. A la place du gigotement frénétique et du refus de l’absence, se faufilent la sérénité de l’acceptation . L’homme de religion, supposé suppléer Dieu, est aussi démuni de réponses définitives concernant ghm le sens de l’existence que le commun des mortels. Le « supposé savoir » qui s’adresse au faqih s’avère n’être qu’un leurre, différemment du « supposé savoir » qui s’adresse au psychanalyste, et qui ouvre la porte à des découvertes nouvelles. La différence est de taille : l’homme de religion croit savoir et veut le faire croire à ses adeptes ; le psychanalyste sait qu’il ne sait pas, et fait de ce nom savoir le lieu de l’émergence d’un autre type de savoir « salvateur » pour l’analysant.

    • Face à l’insécurité essentielle, et face à l’absence de réponse définitive, certains religieux cherchent l’appartenance à un groupe ou une institution d’ordre religieux. Ce groupe ou institution joue le rôle du nid sécurisant contre l’ « angoisse de l’identité défaillante ». Aussi retrouve-t-on une même manière de s’accoutrer propre au groupe. L’intérêt exacerbé qu’on accorde au port du voile ou de la barbe est à ce sujet édifiant. Certains hadiths confirment le rôle que joue l’accoutrement dans l’expression visuelle de l’appartenance au groupe. Le prophète aurait par exemple expliqué sa demande de laisser pousser la barbe par son désir de voir les musulmans différents des chrétiens ou des juifs. Le « jilbab » (type de tunique couvrant la femme) avait pou rôle de distinguer la femme esclave de la femme libre.

    Les signes distinctifs sont tellement valorisés qu’ils en deviennent chez  certains la seule condition de l’appartenance au groupe ; et ce sentiment d’appartenance renforcé par la multiplication des signifiants trouve sa plénitude dans l’attaque de l’autre différent. Tout comportement différent à celui du groupe est critiqué et réprimandé. Celle qui ne porte pas le voile ou celui qui ne porte pas la barbe a droit à tous les adjectifs dépréciatifs possibles et imaginables. On peut se poser la question concernant cette agressivité, et la psychanalyse nous donne quelques éléments de réponses. En effet, la multiplication de ces signes est un moyen de cacher la faille essentielle, l’appartenance à l’institution est un moyen  de fantasmer sur la puissance du groupe, genre de projection sur une mère toute puissante. La présence d’un autre différent montre la possibilité d’une manière d’être autre, cette présence introduit dans la machine bien huilé le doute, et rappelle au religieux ce qui lui fait horreur ; elle lui rappelle ce qu’il fait tout pour occulter, à savoir le PRECARITE du religieux rempart contre la menace existentielle.

    La foi, elle, est une expérience individuelle, telle l’analyse différente selon chaque analysant. Plus besoin de sentiment d’appartenance ni de jeter son dévolu sur l’autre. Comme l’expérience psychanalytique, la foi est questionnement incessant qui ouvre sur le désir.

    La foi, comme la psychanalyse, fait tomber l’idole sous quelque forme qu’elle soit. Qu’elle ait la forme de l’institution, de l’homme de religion, ou d’une réponse définitive, l’illusion de vérité collective vole en éclat afin que le sujet renaisse à lui même, et afin qu’il s’origine non point dans l’autre susceptible de se tromper et de tromper, mais dans l’Autre qui ne se trompe point.

    En défaisant les certitudes aliénantes, en se laissant surprendre par le Réel, en valorisant l’expérience intime de la rencontre avec le spirituel, l’Homme peut retrouver le chemin de paix et de sérénité.

    Cet article ne prétend point que la psychanalyse est nécessairement religieuse…Bien au contraire, des tas de psychanalystes et d’analysants n’ont rien à voir avec le fait religieux…Mais, on prétend, comme pas mal de penseurs, que psychanalyse et religieux ne se nient pas…La psychanalyse est nécessairement croyante, en ce que l’analysant et l’analyste croient à la pertinence de cette expérience, en ce que les deux croient à la parole qui guérit. La réconciliation entre psychanalyse est religion n’est pas une quelconque conversion, mais une ouverture possible sur une lecture autre des textes de la religion, voire même, comme on a tenté de l’effleurer sur une approche subjective autre du fait religieux. Cette réconciliation pourrait nous permettre d’approcher le Coran par exemple dans sa dimension des profondeurs, sans prétendre donner un mode d’emploi pour la lecture du texte  ni prétendre détenir une vérité salvatrice ou une réponse absolue. La psychanalyse, expérience faite d’interrogations et de doutes, ne prétend pas donner une pseudo-certitude rationnelle, mais elle permettrait à ce que se faufilent entre les mailles des lectures figées et immuables du Coran le désir de l’individu et les horizons de sa paix intérieure.

    On prétend que la lecture psychanalytique peut trouver écho dans l’approche mystique du Coran, et un retour aux textes des grands sufis musulmans tels Ibn Arabi ou AlHallaj ou jalaleddine Erroumi peut s’avérer très intéressante et très enrichissante de l’islam lui-même. Hélas, de par l’histoire des musulmans, c’est le faqih qui a pris le dessus sur le mystique, aussi la dimension des profondeurs du texte coranique en particulier et de l’islam, en général, a-t-elle été bafouée en faveur de celle canonisée et générant une fausse certitude. Et si la faille de la crise de l’islam et la modernité s’originait à ce niveau là ?

    Dans cette visée, Bahram Elahi aurait dit : «  La religion est semblable à une amande protégée par une coque, elle a un intérieur et un extérieur ; le but est d’obtenir l’amande, et pour cela, il faut briser la coque. Pourtant, nombreux sont ceux qui ne voient que la coque et ne soupçonnent même pas l’existence de l’amande ».

    bahram ghm

     

    Olfa Youssef

    Universitaire tunisienne